sexta-feira, 15 de julho de 2011

BELOVED ET SES TRADUCTIONS : signfication entre deux Amadas brésiliennes.

JOSÉ ENDOENÇA MARTINS


Une manière de mesurer la réception de Toni Morrison au Brésil, on la fait par la traduction de sa fiction. Parmi ses neufs romans, il y en a un qui a reçu deux traductions au portuguais du Brésil : Beloved, traduit comme Amada, par Massaro en 1994 et par Siqueira en 2007. Chez les deux Amadas brésiliens, mes commentaires sont adressés aux stratégies de traduction que la traductrice et le traducteur utilisent pour exprimer le sermon d’auto-amour pour le corps noir que la vénérable Baby Suggs fait aux anciens esclaves de la communauté de Bluestone Road. D’abord, en lisant leurs traductions, on s’aperçoit que Massaro et Siqueira sont d’accord que des enfants, des femmes et des hommes suivent Baby Suggs à la Clairière ; qu’ils rient, qu’ils dansent et qu’ils pleurent ; qu’elle leur offre son coeur ; et qu’ils doivent imaginer ou voir la grâce qu’ils veulent obtenir, parce que, comme l’oratrice dit, «s’ils n’étaient pas capables de la voir, elle ne leur serait pas donnée » (MORRISON, 2009 : 126).
Après, on se rend compte que les deux Amadas sont d’accord aussi sur le contenu du sermon. Par exemple, chez Massaro et Siqueira, on écoute Baby Suggs enseigner aux gens à considerer la beauté du corps noir, leur demander de toucher et d’imaginer leur beauté individuelle et collective, leur parler des gains et des pertes dans cette expérience d’auto-amour : des gains qui sont liés à leur contact avec le groupe, quand elle leur dit :. « Ici (...) là où nous résidons nous sommes chair » ; et des pertes qui viennent de leur abandon de la communauté, clairement montré par la prédicatrice, dans ces mots : « là-bas, dans le pays, ils n’aiment pas votre chair. Ils la méprisent » (MORRISON, 2009 : 127). Ils apprennent aussi que l’amour de soi-même et l’amour des frères et soeurs peuvent tenir la haine à distance. C’est une attitude qui favorise le toucher amoureux sur toutes les parties du corps, celles externes et celles internes. A l’extérieur du corps, Baby Suggs leur rappelle que les yeux, le dos, les mains, le visage, la bouche, les pieds, les bras et le cou méritent d’être aimés; a l’intérieur, on l’écoute lier le foie, les poumons, l’utérus et le coeur à leur amour. Et, finalement, on l’écoute fermer son discours, en disant que le coeur est la priorité de cet amour physique. « Écoutez-moi bien, aimez votre coeur. Car c’est votre trésor » (MORRISON, 2009 : 128), les exhorte Baby Suggs.
D’une manière semblable à celle de Massaro et Siqueira, les critiques de Beloved voient le roman le plus important de Morrison comme une expérience de l’amour physique. Conner (2000), par exemple, suggère que le roman «est réputé pour être (...) tout sur l’amour (...) un amour qui est vécu par, et même dit par, la communauté elle-même » (CONNER, 2000 : 73). Dans cet amour tellement collectif, Stern (2000) approche la physicalité amoureuse de la souffrance groupale, en disant que la beauté du corps "a plus à voir avec les souffrances physiques communes qu’avec le goût, plus à voir avec la façon dont tous les corps sentent plutôt que comment ils paraissent individuellement » (STERN, 2000 : 90).
À côté de cette évaluation du contenu du sermon, on place la discussion des stratégies traductoires que Massaro et Siqueira utilisent pour viabiliser les deux Amadas en portugais du Brésil. Différemment de ce qui se passe avec le contenu sur lequel ils sont d’accord, les deux traducteurs se distinguent dans leurs stratégies de traductions. Cette distinction a tout à voir avec l’utilisation du possessif. Par rapport au possessif anglais, le brésilien se distingue par trois aspects grammaticaux, absents dans l’anglais. L’adjectif possessif brésilien accepte des flexions de genre – masculin et féminin – et de nombre – pluriel et singulier; il accepte aussi la présence des articles [o(s), a(s)]. On peut voir ces deux règles dans ces phrases, les comparant à celles de l’anglais:

PORTUGUÊS: Amo [o] meu pai e [a] minha mãe.
ENGLISH: I love my father and my mother.
FRANÇAIS: J’aime mon père et ma mère.

PORTUGUÊS: Amamos [os] nossos pais.
ENGLISH: We love our parents.
FRANÇAIS: Nous aimons nos parents.

Par rapport à la langue anglaise, le français a les flexions de genre et de nombre, mais rejette l’article.
Chez leurs Amadas, les traducteurs Massaro et Siqueira se distinguent dans leurs manières de manipuler la traduction du possessif anglais au portuguais. En suivant la situation ci-dessous,

ENGLISH: Yonder they do not love your flesh (p. 88).
MASSARO: Lá fora eles não amam nossa carne (p. 106).
SIQUEIRA: Lá fora não amam a sua carne (p. 126).
FRANÇAIS: Là-bas, dans le pays, ils n’aiment pas votre chair (p. 127).

on peut vérifier que Massaro a traduit le possessif anglais your comme nossa, tandis que Siqueira l’a traduit comme a sua. Dans ce cas, nous voyons l’article [a] avant le possessif [sua] et son absence avant le possessif [nossa]. Dans les deux autres exemples,

ENGLISH: They don’t love your eyes (p. 88).
MASSARO: Nem amam nossos olhos ( p. 106).
SIQUEIRA: Nem amam seus olhos (p. 126).
FRANÇAIS: Ils n’aiment pas vos yeux (p. 127).

ENGLISH: No more do they love the skin on your back (p. 88).
MASSARO: Muito menos amam a pele em nossas costas (p. 106).
SIQUEIRA: Como também não amam a pele de suas costas (p. 126).
FRANÇAIS: Pás plus qu’ils n’aiment la peau de votre dos (p. 127).

le même standard de traduction est suivi, où la traduction de Massaro fait usage du possessif de la première personne [nossos/nossas] tandis que celle de Siqueira repose sur la troisième [seus/suas]. Dans la phrase suivante,

ENGLISH: O my people they do not love your hands (…) Love your hands (p. 88)
MASSARO: Meu povo, eles não amam nossas mãos (...) Amem suas mãos (p. 106).
SIQUEIRA: Ah, meu povo, eles não amam as suas mãos (,..) Amem suas mãos (p. 126).
FRANÇAIS: Ô mon peuple, ils n’aiment pas vos mains (...) Aimez vos mains (p. 127).

le même standard de traduction ne se répète pas parce que Massaro combine les deux personnes – la première, la troisième – en mélangeant le possesif [nossas] avec [suas]. Comme il s’agit d’un discours d’exhortation, avec lequel Baby Suggs veut encourager son peuple à avoir une plus grande préoccupation avec leur corps, on trouve d’autres emplois similaires impliquant les possessifs. Dans ces cas, Massaro passe de la première à la troisième du singulier et retourne à la première, en s’éloignant ou en s’approchant de Siqueira, qui reste fidèle à son emploi du possessif, celui de la troisième personne [suas/suas]. Dans la dernière sollicitation de Baby Suggs, la plus forte, Massaro et Siqueira s’éloignent à nouveau :

ENGLISH: Love your heart (p. 89).
MASSARO: Devemos amar nosso coração (p. 107)
SIQUEIRA: Amem seu coração (p.126).
FRANÇAIS: Aimez votre coeur (p. 128).

Massaro utilise le possessif [nosso] et Siqueira applique le possessif [seu] pour traduire le possessif [your].
En prenant la discussion de Lefevere (2007), dans laquelle il voit la traduction comme une reécriture manipulative et adaptative, on peut relier les deux traductions du discours de Baby Suggs au portuguais brésilien à Venuti (1998) et à Gates (1988). D’un côté, on dit que, avec Venuti, Massaro reécrit le discours de la leader noire en même temps pour le domestiquer aux stéréotypes linguistiques et culturels du portugais brésilien à travers l’emploi du possessif de première personne nosso(s)/nossa(s) et pour rendre sa parole étrangère à travers l’utilisation du possessif seu(s)/sua(s). D’autre part, on affirme que la traduction de Siqueira suit l’orientation de l’étrangeté quand elle se concentre sur le possessif seu(s)/sua(s).
Gates nous aide à considérer que les deux réécritures se présentent comme la voix double de la noirceur que la communauté de Baby Suggs a décidé de vivre. Il dit que « signification est la figure de deux voix illustrée par des représentations d’Eshu dans la sculpture comme possédant deux bouches » (GATES, 1988 : p.xxv). C’est la double voix de la traduction qui nous permet de voir ce qui se passe entre le texte source et les deux textes cibles comme signification, c’est-à-dire, comme « répétition et révision, ou répétition avec un signe de différence » (GATES,1988 : p. xxiv).
Je vois la traduction comme une réécriture de domestication ou d’étrangeté.Pour rendre ma position plus raisonnable, je m’appropie des mots de Lefevere (2007). La réécriture, dit-il, «est une manière d’amener à l'étude de la littérature un peu de la pertinence sociale que les études littéraires, comme un tout, ont perdu» (LEFEVERE, 2007, p. 24). Il explique que

La traduction est, bien entendu, une réécriture d'un texte original. Chaque réécriture, quelle que soit son intention, reflète une certaine idéologie et une poétique et, comme telle, elle manipule la littérature pour qu'elle fonctionne dans une société donnée et d'une manière spécifique. Réecriture est manipulation, réalisée au service du pouvoir, et dans son aspect positif elle peut aider le développement d’une littérature et d’une société (Lefevere, 2007: 11, ma traduction du portuguais-brésilien).

Pour finir, il faut dire que, dans les commentaires sur les deux réécritures du roman Beloved comme Amada je n’ai pas voulu discuter quelle était la meilleure traduction, ni dire si une réécriture d’étrangeté valait mieux qu'une réécriture de domestication. Je n’ai pas voulu non plus rassembler les deux traductions avec le texte source. Les Amadas de Massaro et Siqueira sont des réécritures autonomes dans leurs décisions idéologiques et poétologiques et, c’est ainsi que j’ai souhaité les considérer dans la présente proposition comparative. J’ai préferé suivre les mots de Lefevere, quand il dit que "des réécrivains adaptent, manipulent dans une certaine mesure les originaux sur lesquels ils travaillent, généralement en fonction d’un courant, ou d’un courant idéologique ou poétologique dominant de son temps» (Lefevere, 2007: 23).

Reférences.

CONNER, Marc C. From the Sublime to the Beautiful: The Aesthetic Progression of Toni Morrison. In: CONNER, Marc C. (ed.). The Aesthetic of Toni Morrison: Speaking the Unspeakable. Jackson: University Press of Mississippi, 2000, p. 49-76.
LEFEVERE, André. Tradução, Reescrita e Manipulação da Fama Literária. Tradução Claudia Matos Seligmann. Bauru, SP: Edusc, 2007.
MORRISON, Toni. Beloved. Traduction Hortense Chabrier et Sylviane Rué. Paris: Christian Bourgois Éditeur, 2009.
-------------------------. Beloved. London: Picador, 1988.
-------------------------. Amada. Evelyn Kay Massaro. São Paulo: Círculo do Livro Ltda, 1994.
-------------------------. Amada. José Rubens Siqueira. São Paulo: Companhia das Letras, 2007.
STERN, Katherine. Toni Morrison’s Beauty Formula. In: CONNER, Marc C. (ed.). The Aesthetic of Toni Morrison: Speaking the Unspeakable. Jackson: University Press of Mississippi, 2000, p. 77-91.

Nenhum comentário:

Postar um comentário